Post by Andrei Tchentchik on Jun 17, 2019 10:30:51 GMT 2
(#192).- Pourquoi l’humanité n’a trouvé aucune trace de civilisation E.T.
Pourquoi l’humanité n’a trouvé aucune trace de civilisation E.T.
Deux théories permettent de modéliser la colonisation de la Galaxie par une civilisation extraterrestre. L’une d’entre elles implique que certaines zones ne seront pas visitées. Notre coin de Voie lactée a-t-il donc été oublié ?
Roland Lehoucq est astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique.
Pourquoi l’humanité n’a-t-elle, jusqu’à présent, trouvé aucune trace de civilisations extraterrestres? Pour répondre à cette question qu’il souleva en 1950, le physicien Enrico Fermi examine le cas d’une civilisation motivée par la colonisation planétaire et dotée de moyens techniques raisonnables lui donnant la maîtrise du voyage interstellaire. Il estime que la durée qui lui sera nécessaire pour coloniser entièrement la Galaxie est finalement assez faible.
Ce qui, plus tard, permettra d’expliciter les axiomes du paradoxe qui porte son nom: «Si des civilisations extraterrestres technologiquement avancées nous ont précédés et si au moins une d’entre elles s’est lancée dans la colonisation planétaire, alors le front de colonisation progresse à une vitesse suffisante pour remplir notre Galaxie en un temps très court devant son âge. Or nous ne voyons pas de traces d’une telle civilisation. Il n’y a donc jamais eu de civilisations avancées dans la Galaxie.» Bien triste conclusion pour un raisonnement qui semble impeccable. Mais est-il vraiment possible d’estimer la durée nécessaire pour coloniser une galaxie?
Peste bubonique
Pour se lancer à la conquête de la Galaxie, une stratégie s’impose d’emblée: partir dans l’espace depuis sa planète maternelle vers une planète habitable repérée à l’avance. Puis la coloniser et y développer une société complète avant de s’en servir comme base de départ pour un nouveau bond dans l’espace. Ce processus de colonisation peut être modélisé à la fois par les équations régissant la dynamique des populations qui, par exemple, rendent compte des variations de la population des renards argentés dans le Grand Nord, et par les équations décrivant la diffusion de la matière, que l’on utilise pour décrire la façon dont une goutte d’encre se disperse dans un verre d’eau.
Cette modélisation a déjà été appliquée avec succès à la description de l’épidémie de peste bubonique de 1347, qui ravagea une bonne partie de l’Europe ou encore à la progression des épidémies modernes. Dans ce cadre, le rythme de la colonisation galactique dépend de trois paramètres: le temps mis pour joindre deux étoiles voisines, la vitesse à laquelle voyagent les vaisseaux interstellaires et le temps qui sépare l’arrivée des premiers colons du départ d’un nouveau vaisseau vers l’espace. Essayons d’estimer ces trois quantités.
Le temps nécessaire pour aller d’une étoile à une autre est évidemment fonction de la distance qui les sépare, mais aussi de la vitesse du vaisseau interstellaire utilisé. Dans notre Galaxie, la distance moyenne entre deux étoiles dépend de la région où elles se situent. Dans le bulbe de la Voie lactée, cette distance est inférieure à 0,4 année-lumière tandis qu’elle est plutôt de l’ordre de 4 dans le voisinage solaire. Mais la distance la plus pertinente est plutôt celle qui sépare deux étoiles ayant des planètes habitables. Elle est plus difficile à estimer, car nous sommes encore à conjecturer le nombre de ces planètes. La plus proche planète potentiellement habitable a été découverte en 2011 par des astronomes français. Elle tourne autour de l’étoile Gliese 581, distante d’environ 20 années-lumière. Prenons donc 10 années-lumière comme valeur plausible.
Un voyage interstellaire à un dixième de la vitesse de la lumière est technologiquement imaginable, même si la réalisation pratique n’est pas pour demain
Pour atteindre cette planète en un temps raisonnable, il faut bien sûr que la vitesse du vaisseau soit conséquente, bien supérieure à celles de nos sondes actuelles. Voyager 1, actuellement située à plus de 21 milliards de kilomètres du Soleil, file dans l’espace avec une vitesse de 17 km/s, à peine 0,006 % de la vitesse de la lumière. À cette vitesse, elle atteindrait Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du Soleil, en 70.000 ans. Aller visiter Gliese 581 prendrait donc plus de 350.000 ans.
Pour améliorer ces performances, aucune physique nouvelle n’est nécessaire. Un voyage interstellaire à un dixième de la vitesse de la lumière est technologiquement imaginable, même si la réalisation pratique n’est pas pour demain, tant le projet est ambitieux au regard des standards actuels. Avec une telle vitesse, les durées de voyage sont alors de l’ordre du siècle. Une fois arrivés sur place, il reste à espérer que les colons s’installeront et qu’une nouvelle vague partira plus tard pour atteindre un autre monde. Pour estimer la durée nécessaire à cette étape, remarquons que la population mondiale a été multipliée par 7 durant les deux derniers siècles, passant d’environ un milliard en 1800 à sept milliards en 2011. À ce rythme-là, une colonie initiale de 1000 personnes atteint une population d’un milliard d’individus en seulement 1400 ans. Ce choix arbitraire de population nous permet de nous rendre compte que le temps «d’incubation», nécessaire à la préparation d’un nouveau départ vers les étoiles, est de l’ordre d’un à deux millénaires.
Avec les valeurs choisies, nous pouvons calculer que la vitesse effective d’avancée du front de colonisation est de l’ordre de 0,5 % de la vitesse de la lumière. À cette allure, 20 millions d’années suffisent pour franchir la distance qui nous sépare du bord opposé de la Galaxie! En jouant sur les paramètres – tout en restant dans une gamme raisonnable -, la durée caractéristique de cette colonisation galactique varie de quelques dizaines à une centaine de millions d’années. La surprise vient de ce que cette durée est très petite devant l’âge de notre Galaxie, estimé à 10 milliards d’années, mais aussi devant la durée qu’il a fallu à la vie pour évoluer jusqu’à la civilisation humaine actuelle, soit 3,8 milliards d’années. Notons enfin qu’il n’a fallu que 10.000 ans pour que l’humanité passe de l’âge de la pierre à l’ère spatiale. De ce fait, n’importe quelle civilisation apparue avant nous il y a suffisamment longtemps aurait dû avoir le temps de coloniser entièrement la Galaxie.
Petits et grands vides
Une façon d’expliquer pourquoi nous n’avons pas déjà croisé une civilisation extraterrestre est de prendre conscience que le modèle de colonisation diffuse n’est peut-être pas complet. Un autre scénario de colonisation galactique se fonde sur la théorie de la percolation, qui permet notamment de décrire la façon dont les incendies se propagent ou dont l’eau circule dans un milieu poreux.
Nous supposerons qu’une colonie ne peut s’établir sur un monde déjà occupé : il est déjà suffisamment difficile de voyager dans l’espace pour pouvoir écarter toute possibilité d’invasion interstellaire
Ces modèles reposent sur trois hypothèses fondamentales. Premièrement, comme le feu a besoin d’un combustible pas trop éloigné pour se propager, le voyage interstellaire est possible, mais difficile, de sorte qu’il existe une distance maximum au-delà de laquelle il est impossible d’établir une colonie. Ainsi, pour tout système planétaire de départ, il n’y a qu’un petit nombre de planètes colonisables situées à une distance raisonnable. Deuxièmement, vu les distances qui séparent les étoiles, la civilisation mère ne pourra exercer aucun contrôle sur ses colonies. Cette situation s’est déjà produite dans les colonies terrestres historiques où, à cause de la lenteur des communications, l’administration sur place avait une large autonomie vis-à-vis de la métropole.
Dans notre analogie avec le feu, cela signifie qu’un nouveau foyer évolue indépendamment de celui qui lui a donné naissance. Les colonies vont donc développer leur propre culture au fil des siècles, et éventuellement des visions différentes sur le voyage interstellaire. Troisièmement, comme le voyage interstellaire est plutôt difficile et coûteux, on peut penser que toutes ne feront pas le choix de fonder de nouvelles colonies, soit parce qu’elles n’en auront pas l’envie, soit par manque de moyens, soit par défaut de planètes adéquates dans leur rayon d’action. Chaque colonie a donc une certaine probabilité P d’en fonder d’autres. Dans le cas d’un incendie, on constate effectivement que les sautes de feu ont une certaine probabilité de se produire, dépendant de facteurs comme la vitesse du vent ou les propriétés des combustibles. Enfin, comme le feu ne peut prendre sur une terre déjà brûlée, nous supposerons qu’une colonie ne peut s’établir sur un monde déjà occupé: il est déjà suffisamment difficile de voyager dans l’espace pour pouvoir écarter toute possibilité d’invasion interstellaire.
Une fois ces hypothèses fixées, la théorie de la percolation stipule qu’étant donné le nombre de dimensions de l’espace de propagation (ici, c’est évidemment trois) et le nombre moyen de planètes colonisables, il existe une probabilité critique en dessous de laquelle toutes les vagues de colonisation se termineront par un nombre fini de colonies qui seront regroupées dans des «nuages» dont les frontières seront constituées de civilisations non colonisatrices. En revanche, si P est supérieure à la valeur critique, ces nuages peuvent croître indéfiniment et finir par remplir toute la Galaxie. Il restera cependant de nombreux petits vides. Pour des valeurs de P très voisines de la valeur critique, les nuages de mondes colonisés sont regroupés au sein de structures fractales de forme irrégulière contenant de vastes régions occupées, mais aussi de grands vides.
Seuil critique
L’étude de ce nouveau modèle de colonisation galactique ne remet pas en cause les durées estimées par Fermi, mais elle précise la façon dont les colonies rempliront la Galaxie. Elle permet aussi d’avancer deux explications à l’absence d’une visite extraterrestre tout en autorisant la possibilité de civilisations avancées: la probabilité qu’une colonie en établisse une autre est trop faible et la colonisation s’arrête rapidement ; cette probabilité est supérieure à la probabilité critique, mais la Terre est située dans l’une des régions non colonisées. Comme quoi rien n’est simple… Le raisonnement qui aboutit au paradoxe de Fermi repose essentiellement sur le calcul du temps nécessaire à explorer la Galaxie, lui-même fondé sur un scénario de l’expansion de la vague colonisatrice.
Il a été montré que l’existence de civilisations extraterrestres avancées est compatible avec le fait que nous n’en ayons jamais croisé. Mais un bon moyen de savoir s’il en existe vraiment pourrait être de se lancer nous-mêmes dans la colonisation de la Galaxie! Après tout, cette aventure de longue haleine n’est pas totalement hors de portée puisqu’en principe la technologie actuelle est suffisante, même si les moyens à mettre en œuvre nous dépassent encore largement. Si nous sommes persévérants et avons de la chance, il se pourrait que nous rencontrions des voisins galactiques. À moins que le spectacle désolant de notre civilisation ne nous permette déjà de trancher la question en affirmant comme Calvin, le petit garçon de la BD Calvin et Hobbes, contemplant une décharge sauvage en forêt: «Parfois, je me demande si la meilleure preuve qu’il existe des espèces intelligentes quelque part dans l’Univers, c’est qu’aucune d’entre elles n’a encore essayé de nous contacter.»
F I N .
Pourquoi l’humanité n’a trouvé aucune trace de civilisation E.T.
Deux théories permettent de modéliser la colonisation de la Galaxie par une civilisation extraterrestre. L’une d’entre elles implique que certaines zones ne seront pas visitées. Notre coin de Voie lactée a-t-il donc été oublié ?
Roland Lehoucq est astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique.
Pourquoi l’humanité n’a-t-elle, jusqu’à présent, trouvé aucune trace de civilisations extraterrestres? Pour répondre à cette question qu’il souleva en 1950, le physicien Enrico Fermi examine le cas d’une civilisation motivée par la colonisation planétaire et dotée de moyens techniques raisonnables lui donnant la maîtrise du voyage interstellaire. Il estime que la durée qui lui sera nécessaire pour coloniser entièrement la Galaxie est finalement assez faible.
Ce qui, plus tard, permettra d’expliciter les axiomes du paradoxe qui porte son nom: «Si des civilisations extraterrestres technologiquement avancées nous ont précédés et si au moins une d’entre elles s’est lancée dans la colonisation planétaire, alors le front de colonisation progresse à une vitesse suffisante pour remplir notre Galaxie en un temps très court devant son âge. Or nous ne voyons pas de traces d’une telle civilisation. Il n’y a donc jamais eu de civilisations avancées dans la Galaxie.» Bien triste conclusion pour un raisonnement qui semble impeccable. Mais est-il vraiment possible d’estimer la durée nécessaire pour coloniser une galaxie?
Peste bubonique
Pour se lancer à la conquête de la Galaxie, une stratégie s’impose d’emblée: partir dans l’espace depuis sa planète maternelle vers une planète habitable repérée à l’avance. Puis la coloniser et y développer une société complète avant de s’en servir comme base de départ pour un nouveau bond dans l’espace. Ce processus de colonisation peut être modélisé à la fois par les équations régissant la dynamique des populations qui, par exemple, rendent compte des variations de la population des renards argentés dans le Grand Nord, et par les équations décrivant la diffusion de la matière, que l’on utilise pour décrire la façon dont une goutte d’encre se disperse dans un verre d’eau.
Cette modélisation a déjà été appliquée avec succès à la description de l’épidémie de peste bubonique de 1347, qui ravagea une bonne partie de l’Europe ou encore à la progression des épidémies modernes. Dans ce cadre, le rythme de la colonisation galactique dépend de trois paramètres: le temps mis pour joindre deux étoiles voisines, la vitesse à laquelle voyagent les vaisseaux interstellaires et le temps qui sépare l’arrivée des premiers colons du départ d’un nouveau vaisseau vers l’espace. Essayons d’estimer ces trois quantités.
Le temps nécessaire pour aller d’une étoile à une autre est évidemment fonction de la distance qui les sépare, mais aussi de la vitesse du vaisseau interstellaire utilisé. Dans notre Galaxie, la distance moyenne entre deux étoiles dépend de la région où elles se situent. Dans le bulbe de la Voie lactée, cette distance est inférieure à 0,4 année-lumière tandis qu’elle est plutôt de l’ordre de 4 dans le voisinage solaire. Mais la distance la plus pertinente est plutôt celle qui sépare deux étoiles ayant des planètes habitables. Elle est plus difficile à estimer, car nous sommes encore à conjecturer le nombre de ces planètes. La plus proche planète potentiellement habitable a été découverte en 2011 par des astronomes français. Elle tourne autour de l’étoile Gliese 581, distante d’environ 20 années-lumière. Prenons donc 10 années-lumière comme valeur plausible.
Un voyage interstellaire à un dixième de la vitesse de la lumière est technologiquement imaginable, même si la réalisation pratique n’est pas pour demain
Pour atteindre cette planète en un temps raisonnable, il faut bien sûr que la vitesse du vaisseau soit conséquente, bien supérieure à celles de nos sondes actuelles. Voyager 1, actuellement située à plus de 21 milliards de kilomètres du Soleil, file dans l’espace avec une vitesse de 17 km/s, à peine 0,006 % de la vitesse de la lumière. À cette vitesse, elle atteindrait Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du Soleil, en 70.000 ans. Aller visiter Gliese 581 prendrait donc plus de 350.000 ans.
Pour améliorer ces performances, aucune physique nouvelle n’est nécessaire. Un voyage interstellaire à un dixième de la vitesse de la lumière est technologiquement imaginable, même si la réalisation pratique n’est pas pour demain, tant le projet est ambitieux au regard des standards actuels. Avec une telle vitesse, les durées de voyage sont alors de l’ordre du siècle. Une fois arrivés sur place, il reste à espérer que les colons s’installeront et qu’une nouvelle vague partira plus tard pour atteindre un autre monde. Pour estimer la durée nécessaire à cette étape, remarquons que la population mondiale a été multipliée par 7 durant les deux derniers siècles, passant d’environ un milliard en 1800 à sept milliards en 2011. À ce rythme-là, une colonie initiale de 1000 personnes atteint une population d’un milliard d’individus en seulement 1400 ans. Ce choix arbitraire de population nous permet de nous rendre compte que le temps «d’incubation», nécessaire à la préparation d’un nouveau départ vers les étoiles, est de l’ordre d’un à deux millénaires.
Avec les valeurs choisies, nous pouvons calculer que la vitesse effective d’avancée du front de colonisation est de l’ordre de 0,5 % de la vitesse de la lumière. À cette allure, 20 millions d’années suffisent pour franchir la distance qui nous sépare du bord opposé de la Galaxie! En jouant sur les paramètres – tout en restant dans une gamme raisonnable -, la durée caractéristique de cette colonisation galactique varie de quelques dizaines à une centaine de millions d’années. La surprise vient de ce que cette durée est très petite devant l’âge de notre Galaxie, estimé à 10 milliards d’années, mais aussi devant la durée qu’il a fallu à la vie pour évoluer jusqu’à la civilisation humaine actuelle, soit 3,8 milliards d’années. Notons enfin qu’il n’a fallu que 10.000 ans pour que l’humanité passe de l’âge de la pierre à l’ère spatiale. De ce fait, n’importe quelle civilisation apparue avant nous il y a suffisamment longtemps aurait dû avoir le temps de coloniser entièrement la Galaxie.
Petits et grands vides
Une façon d’expliquer pourquoi nous n’avons pas déjà croisé une civilisation extraterrestre est de prendre conscience que le modèle de colonisation diffuse n’est peut-être pas complet. Un autre scénario de colonisation galactique se fonde sur la théorie de la percolation, qui permet notamment de décrire la façon dont les incendies se propagent ou dont l’eau circule dans un milieu poreux.
Nous supposerons qu’une colonie ne peut s’établir sur un monde déjà occupé : il est déjà suffisamment difficile de voyager dans l’espace pour pouvoir écarter toute possibilité d’invasion interstellaire
Ces modèles reposent sur trois hypothèses fondamentales. Premièrement, comme le feu a besoin d’un combustible pas trop éloigné pour se propager, le voyage interstellaire est possible, mais difficile, de sorte qu’il existe une distance maximum au-delà de laquelle il est impossible d’établir une colonie. Ainsi, pour tout système planétaire de départ, il n’y a qu’un petit nombre de planètes colonisables situées à une distance raisonnable. Deuxièmement, vu les distances qui séparent les étoiles, la civilisation mère ne pourra exercer aucun contrôle sur ses colonies. Cette situation s’est déjà produite dans les colonies terrestres historiques où, à cause de la lenteur des communications, l’administration sur place avait une large autonomie vis-à-vis de la métropole.
Dans notre analogie avec le feu, cela signifie qu’un nouveau foyer évolue indépendamment de celui qui lui a donné naissance. Les colonies vont donc développer leur propre culture au fil des siècles, et éventuellement des visions différentes sur le voyage interstellaire. Troisièmement, comme le voyage interstellaire est plutôt difficile et coûteux, on peut penser que toutes ne feront pas le choix de fonder de nouvelles colonies, soit parce qu’elles n’en auront pas l’envie, soit par manque de moyens, soit par défaut de planètes adéquates dans leur rayon d’action. Chaque colonie a donc une certaine probabilité P d’en fonder d’autres. Dans le cas d’un incendie, on constate effectivement que les sautes de feu ont une certaine probabilité de se produire, dépendant de facteurs comme la vitesse du vent ou les propriétés des combustibles. Enfin, comme le feu ne peut prendre sur une terre déjà brûlée, nous supposerons qu’une colonie ne peut s’établir sur un monde déjà occupé: il est déjà suffisamment difficile de voyager dans l’espace pour pouvoir écarter toute possibilité d’invasion interstellaire.
Une fois ces hypothèses fixées, la théorie de la percolation stipule qu’étant donné le nombre de dimensions de l’espace de propagation (ici, c’est évidemment trois) et le nombre moyen de planètes colonisables, il existe une probabilité critique en dessous de laquelle toutes les vagues de colonisation se termineront par un nombre fini de colonies qui seront regroupées dans des «nuages» dont les frontières seront constituées de civilisations non colonisatrices. En revanche, si P est supérieure à la valeur critique, ces nuages peuvent croître indéfiniment et finir par remplir toute la Galaxie. Il restera cependant de nombreux petits vides. Pour des valeurs de P très voisines de la valeur critique, les nuages de mondes colonisés sont regroupés au sein de structures fractales de forme irrégulière contenant de vastes régions occupées, mais aussi de grands vides.
Seuil critique
L’étude de ce nouveau modèle de colonisation galactique ne remet pas en cause les durées estimées par Fermi, mais elle précise la façon dont les colonies rempliront la Galaxie. Elle permet aussi d’avancer deux explications à l’absence d’une visite extraterrestre tout en autorisant la possibilité de civilisations avancées: la probabilité qu’une colonie en établisse une autre est trop faible et la colonisation s’arrête rapidement ; cette probabilité est supérieure à la probabilité critique, mais la Terre est située dans l’une des régions non colonisées. Comme quoi rien n’est simple… Le raisonnement qui aboutit au paradoxe de Fermi repose essentiellement sur le calcul du temps nécessaire à explorer la Galaxie, lui-même fondé sur un scénario de l’expansion de la vague colonisatrice.
Il a été montré que l’existence de civilisations extraterrestres avancées est compatible avec le fait que nous n’en ayons jamais croisé. Mais un bon moyen de savoir s’il en existe vraiment pourrait être de se lancer nous-mêmes dans la colonisation de la Galaxie! Après tout, cette aventure de longue haleine n’est pas totalement hors de portée puisqu’en principe la technologie actuelle est suffisante, même si les moyens à mettre en œuvre nous dépassent encore largement. Si nous sommes persévérants et avons de la chance, il se pourrait que nous rencontrions des voisins galactiques. À moins que le spectacle désolant de notre civilisation ne nous permette déjà de trancher la question en affirmant comme Calvin, le petit garçon de la BD Calvin et Hobbes, contemplant une décharge sauvage en forêt: «Parfois, je me demande si la meilleure preuve qu’il existe des espèces intelligentes quelque part dans l’Univers, c’est qu’aucune d’entre elles n’a encore essayé de nous contacter.»
F I N .