Post by Andrei Tchentchik on Aug 25, 2020 15:46:13 GMT 2
(#500).- Matière noire, antiprotons et positrons.
Matière noire, antiprotons et positrons.
Richard Taillet,
Enseignant Chercheur Physique
Publié le 07/01/2005 – Modifié le 28/10/2015
Archives
Nous allons maintenant aborder quelques points beaucoup plus spéculatifs, qui concernent des aspects importants de la cosmologie moderne, et dans lesquels l'antimatière a aussi son rôle à jouer.
A - La matière noire
De nombreux indices semblent indiquer que l'Univers contient une grande quantité de matière qu'on ne détecte pas de façon directe. Nous inférons sa présence par l'effet gravitationnel qu'elle a sur son entourage, mais nous n'avons pas encore été capables de trouver une contrepartie visible. Les modèles actuels favorisent fortement l'hypothèse que cette matière noire soit majoritairement formée de nouvelles particules (on dit qu'elles sont non-baryoniques), décrites dans des extensions du modèle standard de la physique des particules, comme par exemple la supersymétrie ou les théories de grande unification que nous avons mentionnées.
Représentation de la distribution de matière noire (en bleu) dans un amas de galaxies (les points)
Si cette hypothèse est correcte, il est possible que ces particules soient stables quand elles sont isolées, mais puissent s'annihiler entre elles quand elles se rencontrent. Il pourrait résulter de ces annihilation la création de radiation, mais aussi de protons, d'antiprotons, d'électrons, de positrons, bref un peu de tout !
Effet de déformation de l'apparence des galaxies par l'effet de lentille gravitationnelle dû à la matière noire.
B - Des antiprotons et positrons venant de la matière noire ?
Il existe beaucoup de modèles théoriques différents décrivant la matière noire (justement parce qu'on ne sait pas trop ce que c'est, les théoriciens peuvent laisser libre cours à leur imagination débordante...), et chacun de ces modèles prédit différentes valeurs de la quantité d'antiprotons et de positrons qui devrait résulter de ses annihilations.
Or, on observe que notre environnement local contient peu d'antiprotons, et que ceux qu'on observe ont des propriétés (essentiellement leur distribution en énergie) compatibles avec une origine classique (réactions nucléaires, voir plus haut). Ceci permet donc d'éliminer les modèles qui prédisent une formation trop importante d'antiprotons. L'idéal serait de voir un excès d'antiprotons par rapport à ceux d'origine classique, et que cet excès soit bien expliqué par un modèle de matière noire unique... Nous sommes très loin de cette situation.
Par contre cette hypothèse pourrait expliquer l'excès de positrons observé par HEAT. Si cette hypothèse est correcte, la matière noire devrait avoir des propriétés assez particulières, pour ne pas donner trop d'antiprotons quand elle s'annihile, mais beaucoup de positrons.
C - Un signal de matière noire au centre de la Galaxie ?
Comme nous l'avons vu plus haut, le satellite INTEGRAL a détecté un puissant signal d'annihilation électron-positron (1043 annihilations par seconde, soit 10 milliards de tonnes de matière). On ne comprend pas d'où viennent les positrons qui s'annihilent de la sorte avec les électrons, et on pourrait envisager qu'ils proviennent de la matière noire, qui serait présente avec une plus grande concentration à cet endroit. Attention, ceci est encore très spéculatif... Cette hypothèse pose un problème : les positrons issus de la désintégration d'une particule massive sont créés avec une énergie importante, mais ils s'annihilent au repos (dans le positronium, voir plus haut). Ils doivent donc être ralentis, ce qui devrait s'accompagner de l'émission d'une quantité importante de rayonnement de freinage, qu'on n'observe pas. Il a fallu "inventer" un type de matière noire particulier qui contourne ce problème, en permettant aux positrons d'être créés directement à basse énergie. Les physiciens n'aiment pas avoir à revoir les propriétés fondamentales des modèles dès qu'une observation devient gênante !
D - Les antiprotons venant de l'évaporation de mini-trous noirs ?
Plusieurs scénarios cosmologiques prédisent que lors de l'histoire complexe de l'Univers, des mini-trous noirs, ayant des masses d'une fraction de gramme, pourraient se former. Pour ces petits trous noirs, l'évaporation d'Hawking est un phénomène qui joue un rôle important dans leur évolution, et on pense qu'il pourrait être assez important pour conduire à l'émission de rayonnement très énergétique, que ce soit sous la forme de photons ou de particules. Si c'est le cas et si ces mini-trous noirs sont effectivement présents dans notre Univers, on pourrait éventuellement déduire leur présence d'une observation d'un excès d'antimatière. Ceci est vraiment très spéculatif !
Le moment de conclure
Richard Taillet,
Enseignant Chercheur Physique
Publié le 07/01/2005 – Modifié le 28/10/2015
Archives
L'antimatière n'a rien de mystérieux, on en observe, on en crée, on en stocke, on l'utilise... Elle fournit aux astrophysiciens une autre manière d'observer l'Univers qui nous entoure. Elle permet aussi de mettre en évidence des processus très spécifiques, que l'on ne voit pas (encore ?) avec d'autres moyens.
Cette vision originale du monde qui nous entoure soulève des questionnements qui prennent leur source dans l'origine même de notre Univers.
L'invention théorique puis la découverte expérimentale de l'antimatière, suivies enfin de son utilisation pratique comme sonde de l'Univers constitue un modèle presque idéal de la science en marche, dont on espère qu'il sera reproduit pour les autres fenêtres qui commencent à s'ouvrir sur notre Univers : les ondes gravitationnelles et les neutrinos.
F I N .
Matière noire, antiprotons et positrons.
Richard Taillet,
Enseignant Chercheur Physique
Publié le 07/01/2005 – Modifié le 28/10/2015
Archives
Nous allons maintenant aborder quelques points beaucoup plus spéculatifs, qui concernent des aspects importants de la cosmologie moderne, et dans lesquels l'antimatière a aussi son rôle à jouer.
A - La matière noire
De nombreux indices semblent indiquer que l'Univers contient une grande quantité de matière qu'on ne détecte pas de façon directe. Nous inférons sa présence par l'effet gravitationnel qu'elle a sur son entourage, mais nous n'avons pas encore été capables de trouver une contrepartie visible. Les modèles actuels favorisent fortement l'hypothèse que cette matière noire soit majoritairement formée de nouvelles particules (on dit qu'elles sont non-baryoniques), décrites dans des extensions du modèle standard de la physique des particules, comme par exemple la supersymétrie ou les théories de grande unification que nous avons mentionnées.
Représentation de la distribution de matière noire (en bleu) dans un amas de galaxies (les points)
Si cette hypothèse est correcte, il est possible que ces particules soient stables quand elles sont isolées, mais puissent s'annihiler entre elles quand elles se rencontrent. Il pourrait résulter de ces annihilation la création de radiation, mais aussi de protons, d'antiprotons, d'électrons, de positrons, bref un peu de tout !
Effet de déformation de l'apparence des galaxies par l'effet de lentille gravitationnelle dû à la matière noire.
B - Des antiprotons et positrons venant de la matière noire ?
Il existe beaucoup de modèles théoriques différents décrivant la matière noire (justement parce qu'on ne sait pas trop ce que c'est, les théoriciens peuvent laisser libre cours à leur imagination débordante...), et chacun de ces modèles prédit différentes valeurs de la quantité d'antiprotons et de positrons qui devrait résulter de ses annihilations.
Or, on observe que notre environnement local contient peu d'antiprotons, et que ceux qu'on observe ont des propriétés (essentiellement leur distribution en énergie) compatibles avec une origine classique (réactions nucléaires, voir plus haut). Ceci permet donc d'éliminer les modèles qui prédisent une formation trop importante d'antiprotons. L'idéal serait de voir un excès d'antiprotons par rapport à ceux d'origine classique, et que cet excès soit bien expliqué par un modèle de matière noire unique... Nous sommes très loin de cette situation.
Par contre cette hypothèse pourrait expliquer l'excès de positrons observé par HEAT. Si cette hypothèse est correcte, la matière noire devrait avoir des propriétés assez particulières, pour ne pas donner trop d'antiprotons quand elle s'annihile, mais beaucoup de positrons.
C - Un signal de matière noire au centre de la Galaxie ?
Comme nous l'avons vu plus haut, le satellite INTEGRAL a détecté un puissant signal d'annihilation électron-positron (1043 annihilations par seconde, soit 10 milliards de tonnes de matière). On ne comprend pas d'où viennent les positrons qui s'annihilent de la sorte avec les électrons, et on pourrait envisager qu'ils proviennent de la matière noire, qui serait présente avec une plus grande concentration à cet endroit. Attention, ceci est encore très spéculatif... Cette hypothèse pose un problème : les positrons issus de la désintégration d'une particule massive sont créés avec une énergie importante, mais ils s'annihilent au repos (dans le positronium, voir plus haut). Ils doivent donc être ralentis, ce qui devrait s'accompagner de l'émission d'une quantité importante de rayonnement de freinage, qu'on n'observe pas. Il a fallu "inventer" un type de matière noire particulier qui contourne ce problème, en permettant aux positrons d'être créés directement à basse énergie. Les physiciens n'aiment pas avoir à revoir les propriétés fondamentales des modèles dès qu'une observation devient gênante !
D - Les antiprotons venant de l'évaporation de mini-trous noirs ?
Plusieurs scénarios cosmologiques prédisent que lors de l'histoire complexe de l'Univers, des mini-trous noirs, ayant des masses d'une fraction de gramme, pourraient se former. Pour ces petits trous noirs, l'évaporation d'Hawking est un phénomène qui joue un rôle important dans leur évolution, et on pense qu'il pourrait être assez important pour conduire à l'émission de rayonnement très énergétique, que ce soit sous la forme de photons ou de particules. Si c'est le cas et si ces mini-trous noirs sont effectivement présents dans notre Univers, on pourrait éventuellement déduire leur présence d'une observation d'un excès d'antimatière. Ceci est vraiment très spéculatif !
Le moment de conclure
Richard Taillet,
Enseignant Chercheur Physique
Publié le 07/01/2005 – Modifié le 28/10/2015
Archives
L'antimatière n'a rien de mystérieux, on en observe, on en crée, on en stocke, on l'utilise... Elle fournit aux astrophysiciens une autre manière d'observer l'Univers qui nous entoure. Elle permet aussi de mettre en évidence des processus très spécifiques, que l'on ne voit pas (encore ?) avec d'autres moyens.
Cette vision originale du monde qui nous entoure soulève des questionnements qui prennent leur source dans l'origine même de notre Univers.
L'invention théorique puis la découverte expérimentale de l'antimatière, suivies enfin de son utilisation pratique comme sonde de l'Univers constitue un modèle presque idéal de la science en marche, dont on espère qu'il sera reproduit pour les autres fenêtres qui commencent à s'ouvrir sur notre Univers : les ondes gravitationnelles et les neutrinos.
F I N .