Post by Andrei Tchentchik on Mar 2, 2020 17:48:37 GMT 2
(#A.047).- Réchauffement climatique, l’urgence d’agir par Jean Jouzel.
Réchauffement climatique, l’urgence d’agir par Jean Jouzel.
Le climatologue Jean Jouzel en 2015. © AFP/Jean Pierre Muller
Par Arnaud Jouve. Publié le 07-10-2018
Face à l’urgence de l’action pour lutter contre le réchauffement climatique, les pays signataires de la Convention climat se réuniront dans deux mois et demi à Katowice en Pologne du 3 au 14 décembre 2018 pour la COP24. Dans cette perspective et à la demande de la Convention, le groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en charge d’établir une synthèse de la connaissance scientifique internationale en la matière est réuni depuis début octobre en Corée du Sud et doit produire un nouveau rapport référence: le "rapport 1,5 degré Celsius. Jean Jouzel qui fut plusieurs années vice-président du GIEC nous livre ici en substance son message.
Jean Jouzel, né le 5 mars 1947, est un climatologue et glaciologue français connu mondialement pour ses analyses de la glace de l’Antarctique et du Groenland qui ont permis de connaître le climat terrestre passé. Vice-président du GIEC de 2002 à 2015 (le Giec en 2007 se voit décerner le prix Nobel de la Paix avec Al Gore au titre de lanceur d’alerte sur l’urgence climatique), directeur de recherches au CEA et directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace jusqu’en 2008, il est membre de l’Académie des Sciences.
RFI : Jean Jouzel, dans quelle état climatique se trouve la planète aujourd’hui ?
Jean Jouzel : Je dirais qu'il est malheureusement celui qu’on envisageait il y a une trentaine d’années, c’est-à-dire un réchauffement climatique moyen sur lequel se superpose une intensification d’évènements extrêmes en quelque sorte, c’est-à-dire un réchauffement climatique auquel s’ajoute un changement climatique.
Qu’est-ce qu’on observe ?
On a vraiment une augmentation de la température moyenne de la planète de un degré depuis le début du XXe siècle. Même si on regarde par rapport aux années 1960, elle est largement de 0,7-0,8 degrés. Donc c’est quelque chose de notable. De plus, les cinq dernières années ont été parmi les plus chaudes qu’on ait jamais connues. En tout cas, les trois plus chaudes sont 2015-2016-2017 et 2018 va très probablement arriver en troisième position. Donc ce réchauffement, par rapport au précédent rapport du GIEC (de 2013), est tout à fait confirmé.
Il faut voir que ce réchauffement n’est pas une surprise puisqu’il est vraiment lié à l’augmentation de l’effet de serre dont nous sommes responsables par nos activités, en particulier sur le dioxyde de carbone qui est émis à chaque fois que nous brûlons du pétrole, du gaz, du charbon, mais aussi que nous brûlons du bois. Mais dans ce cas-là, le gaz carbonique peut être réabsorbé lorsque la végétation se reforme. Et puis, il y a d’autres gaz à effet de serre, le méthane, le protoxyde d'azote. Mais tout cela est bien documenté, et cela se traduit par une augmentation du chauff*ge, qui réchauffe l’océan, l’atmosphère et les glaces. Ce réchauffement n’est donc pas une surprise dans la mesure où on a augmenté le chauff*ge d’à peu près 1%.
Cette chaleur supplémentaire part dans l’atmosphère ?
Il n’y a que 1% ou un peu plus de cette chaleur supplémentaire qui est utilisée par l’atmosphère. L’essentiel va dans l’océan. Donc on doit regarder dans l’océan si on veut vraiment avoir un diagnostic de la réalité du réchauffement climatique. Et c’est le cas puisque l’élévation du niveau de la mer, qui est de 3 millimètres chaque année, combine une partie liée à la dilatation de l’océan, qui résulte du réchauffement des eaux océaniques, puis une large partie - plus de la moitié -, qui est due à la fonte des glaciers tempérés, mais aussi depuis une vingtaine d’années, du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest.
C’est d’ailleurs la conclusion du dernier rapport du GIEC qui ne sera certainement pas remis en question : le réchauffement climatique est sans équivoque, et il est aussi sans précédent quand on regarde au moins à l’échelle du dernier millénaire. Et de façon très claire, ce réchauffement est lié aux activités humaines et cela de façon quasi certaine.
Cela brosse un tableau d’un climat qui se réchauffe, d’un climat qui je dirais presque malheureusement évolue de la façon dont nous l’anticipions il y a une trentaine d’années, puisque sur ce réchauffement moyen, se superpose clairement une intensification des évènements extrêmes, que ce soit les cyclones qui deviennent plus fréquents dans certaines régions et qui peuvent devenir plus intenses. On a eu des vagues de chaleur très importante, y compris en France : l’été 2018 a été le plus chaud qu’on ait connu après celui de 2003.
A l’échelle planétaire, des extrêmes climatiques ont été battus. Cela a été le cas cet été avec les températures aussi bien en Suède que sur le pourtour méditerranéen, et des périodes de sécheresse qui deviennent assez longues. Voilà le tableau de l’état actuel,, de façon très claire, le réchauffement est sans équivoque et il est largement lié aux activités humaines. Si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre, ce réchauffement va se poursuivre de façon de plus en plus importante si nous ne savons pas diminuer nos émissions.
Quels sont les éléments nouveaux dont vous disposez depuis la communication du dernier rapport de 2013 ?
Depuis 2013, les données supplémentaires sont très claires. Les dernières années ont été les années les plus chaudes que nous ayons connues. Je dirais que si on avait eu par exemple, comme le prévoyaient certains climato-sceptiques, un refroidissement à partir de 2015, le discours serait différent. Mais c’est clair, les premières choses que nous regardons, malheureusement, ce sont les données et elles sont parlantes aussi bien au niveau des températures moyennes, de l’élévation du niveau de la mer, de la modification de certains évènements extrêmes.
C’est vraiment l’accumulation des données et leur comparaison aux modèles puisqu’effectivement, en gros c’est quand même ce qui était envisagé, ce qui est envisagé par les modèles climatiques. Donc c’est cette confrontation des données. Ces données peuvent être sur le terrain, elles peuvent être aussi des années satellitaires comme pour l’élévation du niveau de la mer; on s’appuie beaucoup dans ce domaine sur les données satellitaires. Mais c’est vraiment cette accumulation de données qui montre de façon très claire une poursuite du réchauffement qui sont des éléments nouveaux. Il y a eu beaucoup de travail sur les modèles, mais ces travaux vont surtout être intégrés au sixième rapport du GIEC, c’est-à-dire qu’il y a un travail qui se fait au niveau de la modélisation pour le sixième cycle du GIEC. Nos collègues modélisateurs sont en train de travailler de façon très intense, mais ces nouveaux résultats ne sortiront que dans un an environ.
Ça chauffe pour la planète ! © AFP PHOTO / LIONEL BONAVENTURE
Est-ce que l’objectif de limiter le réchauffement à deux degrés, voire 1,5 degré, vous paraît encore atteignable ?
L’objectif de deux degrés, bien en deçà de 2 degrés, voire de 1,5 degré, c’est l’objectif de l’Accord de Paris. Il y a une première chose, c’est que l’Accord de Paris lui-même s’est construit autour des engagements de l’ensemble des pays. Pratiquement tous les pays sont venus à Paris avec des engagements. Mais le problème de ces engagements, c’est que même s’ils étaient respectés, ce qui n’est pas sûr, et même dans ce cas optimiste, sont loin d’être suffisants pour respecter l’objectif de 2 degrés.
Si vous voulez respecter l’objectif de 2 degrés, il faudrait que les engagements de diminution des émissions de gaz à effet de serre soient trois fois plus importants que ce qui a été proposé aux engagements pris lors de l’Accord de Paris. Donc il faut absolument remonter l’ambition de l’Accord de Paris, sinon actuellement nous sommes plus sur des trajectoires à long terme qui pourraient nous emmener vers des températures moyennes supérieures à 3 degrés à la fin du siècle. Donc, est-ce que l’objectif de 2 degrés est toujours possible ? Pas s’il n’ y a pas un sursaut. Il y a urgence comme l’a rappelé Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU. On n’a plus que deux ans pour agir. Il faudrait vraiment que le pic d’émissions de gaz à effet de serre soit atteint en 2020 au plus tard, que les émissions soient divisées par trois disons entre 2020 et 2050, puis qu’elles atteignent la neutralité carbone dans la deuxième partie de ce siècle.
On voit bien la difficulté. C’est un changement complet de mode de développement dont on voit certains frémissements, mais ce qui se passe actuellement n’est absolument pas à la hauteur du problème. Et en fait, évidemment une des mauvaises nouvelles récentes, c’est quand même que les émissions de dioxyde de carbone, le premier contributeur à l’augmentation de l’effet de serre, ont augmenté entre 2016 et 2017, que ce soit à l’échelle planétaire, à l’échelle européenne, ou en France où elles ont augmenté d’un peu plus de 3%. Donc on voit bien qu’on avait l’espoir que le pic d’émission de gaz à effet de serre puisse être atteint en 2020, parce que la stabilisation semblait se mettre en place entre 2014-2015-2016, les années les plus récentes ont fait un peu l’effet d’une douche froide et on voit bien la difficulté qu’il y aura à respecter l’objectif de 2 degrés, et bien sûr encore plus à respecter l’objectif 1,5 degré.
C’est un changement complet de mode de développement à l’échelle planétaire qu’il faut mettre en œuvre. C’est aussi avec Pierre Larrouturou [ingénieur agronome et économiste] l’appel que nous faisons, un appel pour un "pacte climat-environnement" à l’échelle européenne. Il faudrait vraiment changer de braquet si on voulait être en mesure de respecter les 2 degrés et je ne suis pas sûr qu’on en prenne la direction. L’Agence internationale de l’énergie, par exemple, prévoit une augmentation des émissions de gaz carboniques liées aux combustibles fossiles jusqu’en 2040.
Dans le contexte du retrait américain de la lutte contre le réchauffement climatique porté par le président Trump, est-ce que le travail du GIEC subit des pressions hostiles provenant des climato-sceptiques ?
Non, pas vraiment. On verra bien justement ce qui va se passer dans cette semaine d’approbation du rapport qu’on appelle « rapport 1.5 », car la Convention climat a invité le Giec à faire un rapport sur un monde à 1 degré 5. Il y aura probablement des questions des délégations américaines, mais j’espère qu’elles ne bloqueront pas ce rapport qui est quand même très clair. Il faut peut-être attendre la fin de cette session pour savoir si c’est le cas ou non. Mais je ne crois pas que cela serait sur les arguments des climato-sceptiques, mais davantage sur des arguments économiques. Le climato-scepticisme est un voile que Donald Trump se met pour imposer ses idées d’ultra-libéralisme et pour ne pas prendre d’engagements vis-à-vis d’autres pays. Je ne pense pas que les arguments ne seront pas construits à partir de climato-scepticisme, mais plutôt d’arguments économiques, « America first » ou autre chose. Oui. Je crois de moins en moins aux arguments des climato-sceptiques.
Cela implique un changement de paradigmes planétaires. Il faut repenser nos modèles énergétiques, notre relation à la nature, au monde… La science a-t-elle déjà été de par ses recommandations une telle force de changement ?
Je pense que le message des scientifiques d’une certaine façon doit être écouté puisque quand on regarde l’Accord de Paris, il s’appuie complètement sur les conclusions du 5ème rapport du GIEC. Donc le GIEC ne fait pas de recommandation, mais notre souhait est que les décideurs politiques, c’est-à-dire ceux qui se réunissent à la Convention climat, puissent se retrouver lors de l’Accord de Paris, prennent des décisions qui s’appuient sur le diagnostic de la communauté scientifique. Ça a été le cas. Quand on regarde l’Accord de Paris, l’Accord s’est très clairement construit autour du 5e rapport du GIEC. Cette étape-là semble être franchie de façon positive. Le problème, c’est que derrière, ces engagements ne sont pas tenus.
Et c’est vrai au niveau mondial : ils ne sont pas tenus ou sont insuffisants par rapport à l’objectif qui est inscrit dans l’Accord de Paris. C’est très clair. Mais on voit bien en France par exemple que les émissions ont augmenté de façon très nette. Et là aussi, il y a un fossé qui se creuse entre les objectifs de la loi de transition énergétique sur la croissance verte et la réalité de tous les jours. Pour les émissions, on est loin du compte à l’horizon de 2020. La contribution des énergies renouvelables à 23% ne sera pas respectée. Ça sera dur de diminuer de 40% les émissions de gaz à effet de serre en France par rapport à 1990 d’ici à 2030. Ce qui est inscrit dans la loi. La loi est très bien. En gros, elle s’appuie là aussi sur des considérations scientifiques, mais la difficulté n’est pas dans les textes, les textes sont tout à fait en phase avec le message des scientifiques. La difficulté est dans l’adéquation entre la réalité et les objectifs définis à différentes étapes, au niveau national, au niveau européen, au niveau mondial.
Nous n’arrêtons pas de rappeler l’urgence de l’action. Et c’est bien que les médias le fassent de leur côté parce qu’il ne s’agit plus des générations futures quand on parle de la deuxième partie de ce siècle et des impacts qui pourraient alors être très importants, mais bien des jeunes d’aujourd’hui.
F I N .
Réchauffement climatique, l’urgence d’agir par Jean Jouzel.
Le climatologue Jean Jouzel en 2015. © AFP/Jean Pierre Muller
Par Arnaud Jouve. Publié le 07-10-2018
Face à l’urgence de l’action pour lutter contre le réchauffement climatique, les pays signataires de la Convention climat se réuniront dans deux mois et demi à Katowice en Pologne du 3 au 14 décembre 2018 pour la COP24. Dans cette perspective et à la demande de la Convention, le groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en charge d’établir une synthèse de la connaissance scientifique internationale en la matière est réuni depuis début octobre en Corée du Sud et doit produire un nouveau rapport référence: le "rapport 1,5 degré Celsius. Jean Jouzel qui fut plusieurs années vice-président du GIEC nous livre ici en substance son message.
Jean Jouzel, né le 5 mars 1947, est un climatologue et glaciologue français connu mondialement pour ses analyses de la glace de l’Antarctique et du Groenland qui ont permis de connaître le climat terrestre passé. Vice-président du GIEC de 2002 à 2015 (le Giec en 2007 se voit décerner le prix Nobel de la Paix avec Al Gore au titre de lanceur d’alerte sur l’urgence climatique), directeur de recherches au CEA et directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace jusqu’en 2008, il est membre de l’Académie des Sciences.
RFI : Jean Jouzel, dans quelle état climatique se trouve la planète aujourd’hui ?
Jean Jouzel : Je dirais qu'il est malheureusement celui qu’on envisageait il y a une trentaine d’années, c’est-à-dire un réchauffement climatique moyen sur lequel se superpose une intensification d’évènements extrêmes en quelque sorte, c’est-à-dire un réchauffement climatique auquel s’ajoute un changement climatique.
Qu’est-ce qu’on observe ?
On a vraiment une augmentation de la température moyenne de la planète de un degré depuis le début du XXe siècle. Même si on regarde par rapport aux années 1960, elle est largement de 0,7-0,8 degrés. Donc c’est quelque chose de notable. De plus, les cinq dernières années ont été parmi les plus chaudes qu’on ait jamais connues. En tout cas, les trois plus chaudes sont 2015-2016-2017 et 2018 va très probablement arriver en troisième position. Donc ce réchauffement, par rapport au précédent rapport du GIEC (de 2013), est tout à fait confirmé.
Il faut voir que ce réchauffement n’est pas une surprise puisqu’il est vraiment lié à l’augmentation de l’effet de serre dont nous sommes responsables par nos activités, en particulier sur le dioxyde de carbone qui est émis à chaque fois que nous brûlons du pétrole, du gaz, du charbon, mais aussi que nous brûlons du bois. Mais dans ce cas-là, le gaz carbonique peut être réabsorbé lorsque la végétation se reforme. Et puis, il y a d’autres gaz à effet de serre, le méthane, le protoxyde d'azote. Mais tout cela est bien documenté, et cela se traduit par une augmentation du chauff*ge, qui réchauffe l’océan, l’atmosphère et les glaces. Ce réchauffement n’est donc pas une surprise dans la mesure où on a augmenté le chauff*ge d’à peu près 1%.
Cette chaleur supplémentaire part dans l’atmosphère ?
Il n’y a que 1% ou un peu plus de cette chaleur supplémentaire qui est utilisée par l’atmosphère. L’essentiel va dans l’océan. Donc on doit regarder dans l’océan si on veut vraiment avoir un diagnostic de la réalité du réchauffement climatique. Et c’est le cas puisque l’élévation du niveau de la mer, qui est de 3 millimètres chaque année, combine une partie liée à la dilatation de l’océan, qui résulte du réchauffement des eaux océaniques, puis une large partie - plus de la moitié -, qui est due à la fonte des glaciers tempérés, mais aussi depuis une vingtaine d’années, du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest.
C’est d’ailleurs la conclusion du dernier rapport du GIEC qui ne sera certainement pas remis en question : le réchauffement climatique est sans équivoque, et il est aussi sans précédent quand on regarde au moins à l’échelle du dernier millénaire. Et de façon très claire, ce réchauffement est lié aux activités humaines et cela de façon quasi certaine.
Cela brosse un tableau d’un climat qui se réchauffe, d’un climat qui je dirais presque malheureusement évolue de la façon dont nous l’anticipions il y a une trentaine d’années, puisque sur ce réchauffement moyen, se superpose clairement une intensification des évènements extrêmes, que ce soit les cyclones qui deviennent plus fréquents dans certaines régions et qui peuvent devenir plus intenses. On a eu des vagues de chaleur très importante, y compris en France : l’été 2018 a été le plus chaud qu’on ait connu après celui de 2003.
A l’échelle planétaire, des extrêmes climatiques ont été battus. Cela a été le cas cet été avec les températures aussi bien en Suède que sur le pourtour méditerranéen, et des périodes de sécheresse qui deviennent assez longues. Voilà le tableau de l’état actuel,, de façon très claire, le réchauffement est sans équivoque et il est largement lié aux activités humaines. Si nous continuons à émettre des gaz à effet de serre, ce réchauffement va se poursuivre de façon de plus en plus importante si nous ne savons pas diminuer nos émissions.
Quels sont les éléments nouveaux dont vous disposez depuis la communication du dernier rapport de 2013 ?
Depuis 2013, les données supplémentaires sont très claires. Les dernières années ont été les années les plus chaudes que nous ayons connues. Je dirais que si on avait eu par exemple, comme le prévoyaient certains climato-sceptiques, un refroidissement à partir de 2015, le discours serait différent. Mais c’est clair, les premières choses que nous regardons, malheureusement, ce sont les données et elles sont parlantes aussi bien au niveau des températures moyennes, de l’élévation du niveau de la mer, de la modification de certains évènements extrêmes.
C’est vraiment l’accumulation des données et leur comparaison aux modèles puisqu’effectivement, en gros c’est quand même ce qui était envisagé, ce qui est envisagé par les modèles climatiques. Donc c’est cette confrontation des données. Ces données peuvent être sur le terrain, elles peuvent être aussi des années satellitaires comme pour l’élévation du niveau de la mer; on s’appuie beaucoup dans ce domaine sur les données satellitaires. Mais c’est vraiment cette accumulation de données qui montre de façon très claire une poursuite du réchauffement qui sont des éléments nouveaux. Il y a eu beaucoup de travail sur les modèles, mais ces travaux vont surtout être intégrés au sixième rapport du GIEC, c’est-à-dire qu’il y a un travail qui se fait au niveau de la modélisation pour le sixième cycle du GIEC. Nos collègues modélisateurs sont en train de travailler de façon très intense, mais ces nouveaux résultats ne sortiront que dans un an environ.
Ça chauffe pour la planète ! © AFP PHOTO / LIONEL BONAVENTURE
Est-ce que l’objectif de limiter le réchauffement à deux degrés, voire 1,5 degré, vous paraît encore atteignable ?
L’objectif de deux degrés, bien en deçà de 2 degrés, voire de 1,5 degré, c’est l’objectif de l’Accord de Paris. Il y a une première chose, c’est que l’Accord de Paris lui-même s’est construit autour des engagements de l’ensemble des pays. Pratiquement tous les pays sont venus à Paris avec des engagements. Mais le problème de ces engagements, c’est que même s’ils étaient respectés, ce qui n’est pas sûr, et même dans ce cas optimiste, sont loin d’être suffisants pour respecter l’objectif de 2 degrés.
Si vous voulez respecter l’objectif de 2 degrés, il faudrait que les engagements de diminution des émissions de gaz à effet de serre soient trois fois plus importants que ce qui a été proposé aux engagements pris lors de l’Accord de Paris. Donc il faut absolument remonter l’ambition de l’Accord de Paris, sinon actuellement nous sommes plus sur des trajectoires à long terme qui pourraient nous emmener vers des températures moyennes supérieures à 3 degrés à la fin du siècle. Donc, est-ce que l’objectif de 2 degrés est toujours possible ? Pas s’il n’ y a pas un sursaut. Il y a urgence comme l’a rappelé Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU. On n’a plus que deux ans pour agir. Il faudrait vraiment que le pic d’émissions de gaz à effet de serre soit atteint en 2020 au plus tard, que les émissions soient divisées par trois disons entre 2020 et 2050, puis qu’elles atteignent la neutralité carbone dans la deuxième partie de ce siècle.
On voit bien la difficulté. C’est un changement complet de mode de développement dont on voit certains frémissements, mais ce qui se passe actuellement n’est absolument pas à la hauteur du problème. Et en fait, évidemment une des mauvaises nouvelles récentes, c’est quand même que les émissions de dioxyde de carbone, le premier contributeur à l’augmentation de l’effet de serre, ont augmenté entre 2016 et 2017, que ce soit à l’échelle planétaire, à l’échelle européenne, ou en France où elles ont augmenté d’un peu plus de 3%. Donc on voit bien qu’on avait l’espoir que le pic d’émission de gaz à effet de serre puisse être atteint en 2020, parce que la stabilisation semblait se mettre en place entre 2014-2015-2016, les années les plus récentes ont fait un peu l’effet d’une douche froide et on voit bien la difficulté qu’il y aura à respecter l’objectif de 2 degrés, et bien sûr encore plus à respecter l’objectif 1,5 degré.
C’est un changement complet de mode de développement à l’échelle planétaire qu’il faut mettre en œuvre. C’est aussi avec Pierre Larrouturou [ingénieur agronome et économiste] l’appel que nous faisons, un appel pour un "pacte climat-environnement" à l’échelle européenne. Il faudrait vraiment changer de braquet si on voulait être en mesure de respecter les 2 degrés et je ne suis pas sûr qu’on en prenne la direction. L’Agence internationale de l’énergie, par exemple, prévoit une augmentation des émissions de gaz carboniques liées aux combustibles fossiles jusqu’en 2040.
Dans le contexte du retrait américain de la lutte contre le réchauffement climatique porté par le président Trump, est-ce que le travail du GIEC subit des pressions hostiles provenant des climato-sceptiques ?
Non, pas vraiment. On verra bien justement ce qui va se passer dans cette semaine d’approbation du rapport qu’on appelle « rapport 1.5 », car la Convention climat a invité le Giec à faire un rapport sur un monde à 1 degré 5. Il y aura probablement des questions des délégations américaines, mais j’espère qu’elles ne bloqueront pas ce rapport qui est quand même très clair. Il faut peut-être attendre la fin de cette session pour savoir si c’est le cas ou non. Mais je ne crois pas que cela serait sur les arguments des climato-sceptiques, mais davantage sur des arguments économiques. Le climato-scepticisme est un voile que Donald Trump se met pour imposer ses idées d’ultra-libéralisme et pour ne pas prendre d’engagements vis-à-vis d’autres pays. Je ne pense pas que les arguments ne seront pas construits à partir de climato-scepticisme, mais plutôt d’arguments économiques, « America first » ou autre chose. Oui. Je crois de moins en moins aux arguments des climato-sceptiques.
Cela implique un changement de paradigmes planétaires. Il faut repenser nos modèles énergétiques, notre relation à la nature, au monde… La science a-t-elle déjà été de par ses recommandations une telle force de changement ?
Je pense que le message des scientifiques d’une certaine façon doit être écouté puisque quand on regarde l’Accord de Paris, il s’appuie complètement sur les conclusions du 5ème rapport du GIEC. Donc le GIEC ne fait pas de recommandation, mais notre souhait est que les décideurs politiques, c’est-à-dire ceux qui se réunissent à la Convention climat, puissent se retrouver lors de l’Accord de Paris, prennent des décisions qui s’appuient sur le diagnostic de la communauté scientifique. Ça a été le cas. Quand on regarde l’Accord de Paris, l’Accord s’est très clairement construit autour du 5e rapport du GIEC. Cette étape-là semble être franchie de façon positive. Le problème, c’est que derrière, ces engagements ne sont pas tenus.
Et c’est vrai au niveau mondial : ils ne sont pas tenus ou sont insuffisants par rapport à l’objectif qui est inscrit dans l’Accord de Paris. C’est très clair. Mais on voit bien en France par exemple que les émissions ont augmenté de façon très nette. Et là aussi, il y a un fossé qui se creuse entre les objectifs de la loi de transition énergétique sur la croissance verte et la réalité de tous les jours. Pour les émissions, on est loin du compte à l’horizon de 2020. La contribution des énergies renouvelables à 23% ne sera pas respectée. Ça sera dur de diminuer de 40% les émissions de gaz à effet de serre en France par rapport à 1990 d’ici à 2030. Ce qui est inscrit dans la loi. La loi est très bien. En gros, elle s’appuie là aussi sur des considérations scientifiques, mais la difficulté n’est pas dans les textes, les textes sont tout à fait en phase avec le message des scientifiques. La difficulté est dans l’adéquation entre la réalité et les objectifs définis à différentes étapes, au niveau national, au niveau européen, au niveau mondial.
Nous n’arrêtons pas de rappeler l’urgence de l’action. Et c’est bien que les médias le fassent de leur côté parce qu’il ne s’agit plus des générations futures quand on parle de la deuxième partie de ce siècle et des impacts qui pourraient alors être très importants, mais bien des jeunes d’aujourd’hui.
F I N .